Parmi les quatre maillots distinctifs remis sur la place Masséna à Nice, trois ont été remportés par des coureurs dont les nations avaient à peine commencé à exister sur le Tour il y a dix ans.
Tadej Pogacar en jaune pour la Slovénie, Biniam Girmay en vert pour l’Erythrée, Richard Carapaz à pois pour l’Equateur, hissent les drapeaux de pays qui comptent désormais sur la planète vélo. Le coup de jeune du Tour 2024 a quant à lui été donné par un représentant du plus vieux pays du cyclisme, Remco Evenepoel, en blanc et sur le podium final (3e) le jour de la fête nationale belge pour finir en beauté sa découverte de la Grande Boucle !
Maillot Jaune : la méthode « Pogi »
La conquête du Maillot Jaune a débuté par un coup d’éclat, celui d’un grimpeur qui s’impose en bord de mer, d’un coureur du classement général qui se lance maintenant dans les échappées, d’un champion « à la Poulidor » qui se retrouve à la tête du classement général le soir de la première journée de son dernier Tour ! Sept ans après son dernier succès, Romain Bardet remporte à Rimini une cinquième étape qui lui ouvre cette fois-ci la porte vers une vie en jaune… pour une journée. Tadej Pogacar s’en empare à Bologne à l’issue de la deuxième étape mais le lendemain à Turin, Richard Carapaz calcule finement pour lui chiper le Maillot Jaune à l’addition des places. L’honneur pour l’Equatorien, qui avait déjà roulé en rose sur le Giro et en rouge sur la Vuelta, est également de courte durée mais il gardera le souvenir d’être monté au Galibier dans cette tenue unique.
C’est bien dans cette ascension que la prise de pouvoir définitive a eu lieu par Tadej Pogacar, engageant dès l’arrivée à Valloire une lutte à trois pour le podium du classement général. Dans ce tiercé, Remco Evenepoel a assumé son statut de premier poursuivant jusqu’à ce que les pentes pyrénéennes se dressent devant le peloton. C’est là que Jonas Vingegaard a pu reprendre la place de deuxième qu’il ne quitta plus. Au final, « Pogi » n’a laissé que deux jours en jaune à la concurrence et avec le 40e maillot de sa carrière enfilé sur le podium de Nice, il dépasse Antonin Magne dans le classement des collectionneurs. Hormis Evenepoel, le Top 10 final accueille quatre nouveaux membres : Joao Almeida (4e), qui achève son premier tour avec un accessit en plus de la fierté d’avoir participé au triomphe de son leader chez UAE Emirates ; Matteo Jorgenson (8e) verra peut-être dans son résultat final une consolation d’avoir été enrhumé par Pogacar à 1,8 km de l’arrivée à Isola 2000 ; Derek Gee dont la persévérance et la régularité ont payé pour conserver une 9e place loin d’être acquise ; et Santiago Buitrago, débutant sur le Tour comme son devancier Canadien, qui sauve l’honneur de la Colombie en se hissant au 10e rang le dernier jour, aux dépens de Giulio Ciccone (11e).
Maillot vert : Bini, Bini, Bini
Il a frappé trois grands coups. Mais c’est avec son sprint victorieux à Turin que Biniam Girmay est entré dans la grande histoire du Tour, sa victoire étant la première d’un coureur noir africain. Ce jour-là, l’Erythréen a aussi compris que les succès devant les meilleurs sprinteurs et sur la plus grande scène du monde étaient à sa portée. Quelques jours plus tard à Saint-Vulbas, Mark Cavendish est allé saisir son heure de gloire, ou plutôt sa 35e, pendant que « Bini » s’habillait de vert, à la lutte avec Mads Pedersen encore dans le coup à ce stade. À nouveau vainqueur à Colombey-les-Deux-Eglises, Girmay s’imposait cette fois devant Jasper Philipsen, qui se repositionna plus loin dans la course au maillot vert en retrouvant le chemin du succès à Saint-Amand-Montrond. Le duel entre le Belge et l’Erythréen était lancé. Il gagna encore en intensité dans le final de Nîmes, où la chute du maillot vert le privait de points, pendant que son prédécesseur au palmarès gagnait lui aussi une troisième fois de l’année, réduisant l’écart à une trentaine de points. Plus aucune arrivée au sprint n’étant au programme, il ne restait plus au nouveau venu dans le club des vainqueurs qu’à contrôler son rival sur les sprints intermédiaires, et serrer bien fort les dents pour oublier ses douleurs. Mission accomplie, un pays africain remporte pour la première fois, avec Girmay, un classement du Tour de France.
Maillot à pois : Carapaz, le collectionneur
A la fois en tête du classement par points et de celui des grimpeurs pendant plusieurs jours, Jonas Abrahamsen a été l’un des combattants les plus en vue de la première semaine. C’est notamment pour garder le maillot à pois accroché sur ses épaules qu’il a fait le plein au maximum dans les échappées. Le Norvégien a ainsi tenu jusqu’au Lioran au sommet du classement, où seul Pogacar l’a dépassé, lui permettant de continuer à promener les pois par procuration sur les routes de France. L’échéance des Pyrénées a mis fin à cette aventure, Pogacar n’étant plus suivi de près que par Vingegaard. C’était encore le cas à Superdévoluy, où la victoire d’étape a donné des idées à Richard Carapaz. Avec 40 points de retard mais un mental d’acier, l’Equatorien pouvait se lancer dans une conquête audacieuse en vue du week-end final. Dans l’étape d’Isola 2000, le pactole en jeu à la Cime de la Bonette a joué une grande part dans la réussite de son entreprise. Celui qui avait été dépossédé de ce même maillot sur le Tour 2020 par « Pogi » à la Planche des Belles Filles, mais qui avait remporté celui de la Vuelta en 2022, apporte une nouvelle fierté à l’Equateur. Et les récompenses n’en finissent plus pour le coureur d’EF Education Easypost, également distingué par le titre de Supercombatif, pour lequel il était notamment en concurrence avec Abrahamsen et Victor Campenaerts.
Maillot blanc : Remco, évidemment
Il était naturellement le débutant le plus observé, s’avançant déjà comme un candidat légitime au podium du Tour. Remco Evenepoel n’a pas mis longtemps à prendre la tête du classement des jeunes. Mais à la fin de la première étape, c’était une bien juste récompense pour Frank Van den Broek, qui avait quant à lui consacré sa première journée sur le Tour à contribuer activement au succès de son leader Romain Bardet chez dsm-Firmenich PortNL. Mais à partir de l’arrivée à Bologne, c’est bien le favori belge de la catégorie qui en a pris les commandes. On lui voyait alors comme adversaires de sérieux clients comme Juan Ayuso ou Tom Pidcock, tous deux déclarant forfait en raison du Covid. La concurrence a en réalité joué plutôt loin derrière le maillot blanc, Carlos Rodriguez ne se montrant pas en mesure de faire peser une réelle menace, tandis que Matteo Jorgenson était tenu par ses obligations auprès de Vingegaard. L’Espagnol, qui avait terminé son premier Tour en 6e position du général l’année dernière, ne perd qu’un rang mais pointe cette fois à 25 minutes de Pogacar et presque 16 minutes d’Evenepoel.
Classement par équipes : les UAE Emirates au rendez-vous
L’arrivée à Valloire au terme de l’étape du Galibier a changé la donne à tous les étages, et donc logiquement au classement par équipes, dès lors dominé par les UAE Emirates, dans le sillage de Tadej Pogacar. Sur les étapes décisives et après le forfait d’Ayuso, ce sont le plus souvent Adam Yates et Joao Almeida qui ont joué les deuxième et troisième hommes pour faire la différence dans cette hiérarchie. L’avantage des UAE Emirates a même atteint près d’une heure, laissant pourquoi pas envisager le record détenu par la formation La Vie Claire d’Hinault et LeMond en 1986 avec 1h51’ d’avance sur les Peugeot-Shell. Mais les échappées de la troisième semaine, dans lesquelles les coéquipiers de Tadej Pogacar se sont abstenus, ont rééquilibré le classement. La bande de Pogacar achève sa route avec 31’51’’ d’avance sur Visma-Lease a Bike et 1h33’ sur Soudal-Quick Step.