Pour conquérir un deuxième titre sur le Tour de France, Jonas Vingegaard a livré une bataille d’une intensité inouïe à Tadej Pogacar, qu’il a su dominer en troisième semaine avec autorité, pour terminer à Paris sur les Champs-Elysées à la tête d’une avance de 7’29’’. Le Maillot Jaune a fait preuve d’un sang-froid et d’une maîtrise de son sujet qu’il n’avait pas affichés aussi clairement lors de son premier succès.
Ce n’est plus le même homme. En tout cas, plus le même champion. Pour Jonas Vingegaard, les trois semaines de course qui se sont écoulées n’ont pas seulement ajouté une ligne jaune de palmarès qui s’empilerait au-dessus de celle de 2022. Elles ont surtout été le révélateur d’une métamorphose chez le coureur danois, qui semblait presque s’excuser de gagner il y a un an et habite désormais avec aisance le personnage de patron du Tour (celui qui s’habille en jaune, pas celui qui porte une chemise bleue). Les indices étaient déjà visibles à Bilbao pour ceux qui avaient suivi la saison cycliste et se montraient prêts à accorder du crédit aux propos du troisième de Paris-Nice, nettement battu par Tadej Pogacar et David Gaudu mais ne cédant absolument pas à la panique quant à l’état de sa préparation. Le début de la suite lui a déjà donné raison sur le Critérium du Dauphiné, où chacun a pu réviser ses estimations des chances de Vingegaard de rivaliser avec le favori slovène du Tour, voire mieux.
L’examen de la liste des partants donne d’emblée au porteur du dossard numéro 1 une dimension exclusive qui assoit son autorité. Dans le cas précis de la formation Jumbo-Visma, l’effectif faisait aussi apparaitre la présence d’un leader unique, une différence majeure par rapport à 2022, lorsque la fonction était partagée avec Primoz Roglic en début de Tour. Cette fois-ci, endosser le rôle du chef de bande dès les premiers tours de roue n’a suscité aucun émoi chez Vingegaard. Et là où son premier titre avait pu être analysé sous le signe d’une « Wout van Aert-dépendance », le Danois a su utiliser la force collective de son groupe sur un registre plus classique, et sacrément efficace. Le duel avec Tadej Pogacar a été immédiatement lancé. Mais quand le leader des UAE a commencé par se ruer sur les bonifications et appliquer une stratégie du harcèlement, la réponse a été préparée dans le plus grand calme côté Jumbo-Visma, jusqu’au premier coup porté du côté du col de Marie-Blanque, avec un bénéfice de 1’04’’ à l’arrivée à Laruns pour la cinquième étape. Et le lendemain, après le revers encaissé sur la route de Cauterets, ce n’était pas seulement pour faire diversion que Jonas a préféré se féliciter de la conquête du Maillot Jaune plutôt que de s’attarder sur les 24 secondes qu’il venait de perdre en trois kilomètres.
Vingegaard attendait son heure, ou plutôt sa demi-heure. Dans l’intensité de la bataille à coups de secondes, il n’a jamais perdu son calme et a continué de savourer son Maillot Jaune, même quand il ne tenait plus qu’à 9’’ à l’arrivée au Grand Colombier. « On avait un plan pour chaque jour, on l’a suivi à la lettre », a expliqué le vainqueur du Tour, qui avait manifestement misé gros et juste sur le chrono de Combloux. Il y a éloigné « Pogi » à 1’35’’, un gouffre. Et le coup de massue asséné a été accompagné d’une réplique dès le lendemain en montant au col de la Loze : la force athlétique de Jonas, ajoutée au désarroi et à la méforme subite de son adversaire scellait alors le destin du Maillot Jaune. Le petit bonhomme montré du doigt en 2022 pour sa supposée fébrilité était bien loin, une fois à la tête d’un pactole de 7’35’’, et dégageait au contraire une impression d’invulnérabilité. Sans esbrouffe, il a en effet su gérer sa position jusqu’au sommet du Markstein. La méthode Vingegaard est à maturité.