Il faut remonter dans les archives jusqu’en 2018 pour retrouver quatre coureurs différents habillés des quatre maillots distinctifs du Tour de France. Avec Jonas Vingegaard en jaune, Tadej Pogacar pour la dernière fois en blanc, Jasper Philipsen en vert et Giulio Ciccone vainqueur des pois, le palmarès 2023 s’est construit au rythme de batailles à tous les étages. Dans la comptabilité des étapes, la Belgique a survolé les débats, et aurait même pu faire mieux si le supercombatif Victor Campenaerts avait trouvé la formule gagnante. Le classement par équipes a quant à lui été remporté pour la première fois par Jumbo-Visma, à l’occasion de la 40e participation au Tour de la formation néerlandaise sous ses différentes appellations.
Podium : Un duel, et un duo de frangins
La confrontation entre Jonas Vingegaard et Tadej Pogacar a bel et bien été le fil jaune du Tour 2023. Un autre duo a toutefois bénéficié d’une première fenêtre d’exposition, le duo des jumeaux Yates faisant main basse sur la première étape de Bilbao, avec le bouquet et l’honneur du Maillot Jaune pour Adam. Le Britannique, qui avait déjà vécu une aventure en jaune en 2020, a pu s’autoriser un nouveau bail de quatre jours avant de céder sa place au sommet du général à Jai Hindley. Pour sa première participation à la Grande Boucle, le vainqueur du Giro 2022 a connu à la fois la victoire d’étape à Laruns et le Maillot Jaune, mais seulement le temps d’une journée, laissant ensuite place au récital de Jonas Vingegaard. Le Danois s’est offert le plus long séjour ininterrompu dans la tunique dorée depuis Bernard Hinault en 1981.
A partir de cette même étape de Cauterets, la place du dauphin n’a jamais pu être contestée à Tadej Pogacar, un fossé se creusant rapidement entre les duettistes et leurs poursuivants. Hindley a su s’accrocher à une troisième place qui lui a semblé promise, mais sa solidité a été mise à l’épreuve par une chute dans l’étape de Morzine. C’est justement dans la station de Haute-Savoie qu’a surgi le jeune Espagnol Carlos Rodriguez pour se poser comme candidat au podium, en attendant pourquoi pas mieux dans le futur. Promu leader d’Ineos par ce coup d’éclat, il a légèrement accusé le coup sur le chrono de Combloux et cédé son strapontin sur le podium à Adam Yates. Imperturbable, le meilleur équipier de « Pogi » a non seulement conservé son rang jusqu’au bout, mais a aussi signé un nouveau coup en famille sur l’étape du Markstein avec Simon, qui atteint lui aussi le meilleur classement de sa carrière, à la 4e place. Les jumeaux ne sont pas restés séparés si longtemps !
Maillot blanc : la deuxième peau de Pogacar
Depuis le 11 septembre 2020 et l’arrivée de la 13e étape au Puy Mary, Tadej Pogacar n’a plus quitté le sommet du classement des jeunes. Il lui est bien sûr arrivé de rouler en jaune à l’occasion des ses deux campagnes victorieuses en 2020 et 2021, mais le maillot blanc reste l’habit auquel il a été le plus fidèle pendant les 84 jours qu’il a passés sur le Tour dans sa jeune carrière. Les « bonifs » saisies par le Slovène le premier jour à Bilbao lui ont permis de dominer d’emblée la catégorie des moins de 25 ans, dans laquelle il n’a jamais été inquiété, bien que sa défaillance dans l’étape de Courchevel ait permis à Carlos Rodriguez, 22 ans, de se « rapprocher » à 4’26’’. Après avoir établi un record très haut perché de 75 maillots collectés au total, Pogacar s’apprête à rentrer dès l’année prochaine dans le monde des adultes !
Maillot vert : Philipsen à la mode belge
Pour les 70 ans du maillot vert, c’est dans le style le plus classique qu’a été conquis le classement par points par Jasper Philipsen. Alors que Peter Sagan, Michael Matthews puis Wout van Aert avaient exploré de nouvelles façons de procéder pour s’approprier le classement de la régularité, notamment en s’appuyant sur la chasse aux sprints intermédiaires, le sprinteur d’Alpecin-Deceuninck a utilisé la technique qui a fait ses preuves dans le domaine : l’empilement des victoires au sprint massif. Avec le concours de Mathieu Van der Poel, il s’est très rapidement imposé comme l’homme en forme des dernières lignes droites. Vainqueur dès l’étape de Bayonne, il a enchaîné les succès tout en prenant acte des abandons de Mark Cavendish, puis Fabio Jakobsen, Caleb Ewan et Phil Bauhaus, qui auraient été susceptibles de perturber sa récolte. Mads Pedersen, qui l’a battu à la régulière à Limoges, et dans une moindre mesure Bryan Coquard, ont bien tenté de provoquer un match, mais c’était peine perdue face au maître des sprints de l’édition 2023. En réalité, seul Victor Lafay a pu réaliser un mini-coup sur la route de Bayonne, ce qui lui a permis de rouler en vert deux jours. Et au final, c’est avec 119 points que « Jasper the Master » ajoute une 21e victoire belge au palmarès du classement par points.
Maillot à pois : l’affaire d’un spécialiste
C’est un animateur tout à fait crédible dans le maillot à pois qui s’est illustré durant les deux premières semaines du Tour, où la collectionnite de « petits points » sur des ascensions modestes a été exploitée par Neilson Powless. Le coureur américain a calculé ses efforts pour porter le maillot des grimpeurs sur 12 étapes, avec une journée d’interruption durant laquelle Felix Gall avait pris un court avantage. Mais lorsque Giulio Ciccone a décidé de s’impliquer avec le plus grand sérieux dans cette affaire, le combat est devenu trop ardu. Plus résistant dans les longues ascensions, le coureur de Lidl-Trek qui avait déjà pris goût au classement de la montagne sur le Giro (2019) et plus récemment sur le Critérium du Dauphiné, a commencé à faire la différence sur l’étape de Morzine, puis à Saint-Gervais et à Courchevel, bien qu’il n’ait pas réussi à suivre Felix Gall pour lui disputer la victoire. Dans les derniers jours, la menace venait tout autant du jeune grimpeur autrichien que de Jonas Vingegaard. Ciccone a pu se rassurer dans l’étape du Markstein : en tête au col de la Schlucht, il est réellement devenu le premier vainqueur italien du maillot à pois depuis le doublé de Claudio Chiappucci en 1991 et 1992.
Etapes : l’Espagne de retour
La domination de Jasper Philipsen dans l’univers des sprinteurs s’accompagne d’une nette victoire de la Belgique au tableau des médailles, d’autant plus que son jeune compatriote Jordi Meeus y a ajouté l’une des plus prestigieuses en s’imposant sur les Champs-Elysées. Mais avec un total de 17 vainqueurs d’étapes différents, le millésime 2023 se distingue aussi par la diversité des nations représentées, puisque le Canada a fait son retour grâce à Michael Woods au Puy de Dôme ; l’Autriche également avec Felix Gall à Courchevel ou la Pologne avec Michal Kwiatkowski au sommet du Grand Colombier. Derrière la Belgique, trois pays ont été en mesure de s’imposer sur trois étapes : la Slovénie avec ses habitués des bouquets Tadej Pogacar et Matej Mohoric ; le Danemark grâce à un nouveau venu dans le club, Kasper Asgreen, qui a apporté sa contribution avec Jonas Vingegaard et Mads Pedersen ; et l’Espagne, qui était attendue dès les premières étapes au Pays Basque mais qui a finalement frappé un peu plus tard. C’est au moment où le pays de Contador et Indurain allait vivre son 100e jour de disette que Pello Bilbao a remporté sa première étape sur le Tour à Issoire. Ion Izagirre s’est ensuite imposé à Belleville-en-Beaujolais et a poursuivi le travail, juste avant de voir Carlos Rodriguez prendre date à Morzine. Avec son jeune talent andalou, il serait surprenant de voir l’Espagne patienter 99 étapes avant la prochaine victoire. Côté français, le coup de force de Victor Lafay à Saint-Sébastien a pu redonner le sourire au clan Cofidis après 15 ans d’attente, mais les espoirs placés en David Gaudu pour aller chercher une place sur le podium final ont vite été douchés, tandis que Romain Bradte quittait le Tour sur chute dans la 14e étape. Le trio David Gaudu-Guillaume Martin-Thibaut Pinot termine groupé aux 9e, 10e et 11e rangs du classement général. Au rayon des consolations, le raid solitaire du pré-retraité de Groupama-FDJ sur l’étape du Markstein a su combler d’émotion et de frissons les spectateurs et téléspectateurs français, voire au-delà. Il se dit que le romantisme à la française s’accommode des défaites magnifiques… façon « Tibopino » !
Équipes : la garde jaune et noire
Auréolé de jaune au sommet de la hiérarchie du Tour de France, il ne peut y avoir qu’un homme, et cet homme est Jonas Vingegaard depuis deux ans. Mais les conquêtes du jeune Danois ont illustré l’importance de plus en plus prégnante du collectif cycliste, avec une équipe Jumbo Visma bourrée de talents divers et complémentaires pour lancer son leader vers la gloire. Tiesj Benoot, Wilco Kelderman, Sepp Kuss, Christophe Laporte, Wout van Aert, Dylan van Baarle et Nathan Van Hooydonck : Vingegaard était accompagné par un impressionnant essaim d’abeilles dont la férocité sur tous les terrains laisse également une trace dans les palmarès. À force d’efforts depuis Bilbao, les Jumbo-Visma sont arrivés à Paris en vainqueurs du classement par équipes, pour la première fois dans l’histoire de la formation néerlandaise. Les hommes de Richard Plugge devancent UAE Team Emirates et Bahrain Victorious pour succéder aux Ineos Grenadiers.
Combativité : Super Campi !
Que de batailles, sur les routes basques, navarraises et françaises pendant les trois semaines du Tour ! L’intensité est rarement retombée et il fallait faire preuve d’abnégation aussi bien que de puissance et d’endurance pour se distinguer parmi les innombrables offensives qui ont animé la course. Dans ce registre, Victor Campenaerts est un agitateur hors pair. L’ancien spécialiste du contre-la-montre, recordman de l’heure de 2019 à 2022, exploite désormais ses talents dans de grands barouds, dans la plaine ou dans la montagne. Et quelle santé ! Avec plus de 600 kilomètres aux avant-postes, le Super combatif du Tour 2023 a remporté le Prix Century 21 de la combativité lors deux étapes consécutives (18e et 19e), comme Wout van Aert en début d’épreuve (5e et 6e), une performance inédite depuis… Peter Sagan en 2015. Il fallait bien ça pour résister à la furia Thibaut Pinot.
Meilleurs équipiers : Van Aert, Kuss et Skjelmose à l’honneur
Le rôle de “domestique” n’a rien d’ingrat et les meilleurs équipiers du Tour ont montré qu’il méritait même ses lettres de noblesse, et un prix dédié à ces coureurs qui multiplient les efforts pour leurs partenaires. Dès la première semaine, Wout van Aert a montré toute l’étendue de ses talents, notamment au moment d’accompagner les premières offensives de Jonas Vingegaard dans les Pyrénées. Le jury et le public ont consacré le Belge à tout faire vainqueur du premier Prix du meilleur équipier parrainé par le département des Hauts-de-Seine. Place ensuite au super grimpeur américain, Sepp Kuss, qui a pris le relai auprès du porteur du Maillot Jaune dans le Jura et l’approche des Alpes. Enfin, Mattias Skjelmose (22 ans) s’est démené sur tous les terrains pour accompagner ses leaders Mads Pedersen et Giulio Ciccone. Le tout jeune Danois a l’étoffe d’un grand leader en devenir… Mais son travail d’équipier s’est révélé étincelant.